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    Histoires de Boomerangs

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    Jean PeetersPar Jacques Thomas, cicm  

    Nous connaissons tous la fine stratégie utilisée par le prophète Nathan pour faire prendre conscience au roi David de la mesure de son crime. Il commence par lui raconter une histoire dans laquelle un riche s’approprie injustement l’unique brebis d’un pauvre hère. La réaction de David ne se fait pas attendre : spontanément il condamne le profiteur. C’est alors que Nathan lui lance à la figure, « Mais cet homme, c’est toi ! »

    Jésus utilisera la même pédagogie face aux autorités religieuses de son temps en leur racontant l’histoire des vignerons homicides. À la fin, il leur demande leur avis. C’est clair : ces malfaiteurs méritent une punition exemplaire. En prononçant cette sentence, ils se condamnent en fait eux-mêmes. Mais la différence entre les deux récits, c’est que David a reconnu sa faute et s’est repenti, alors que, mis en cause, les adversaires de Jésus cherchent à l’éliminer, complé­tant ainsi ce qui manquait au parallélisme entre leur comportement et celui des vignerons homicides.

    Durant l’été, à la faveur d’un bref temps de répit que nous a accordé le COVID-19, d’autres sujets ont fait la une de l’actualité, notamment la pénible question des méfaits et crimes liés à la colonisation. C’est un sujet qui nous touche en tant que Congrégation missionnaire puisque nous étions à tout le moins présents, à défaut d’être complices. Bien sûr que nous regrettons et condamnons aujourd’hui les abus et surtout l’atteinte à la dignité des personnes que cela impliquait. Nous ne nous y reconnaissons pas, d’autant plus que cela jette le soupçon sur tant de sacrifices, de générosité et d’amour pour le peuple dont ont témoigné des générations de confrères.

    Mais on se demande comment par le passé, pareilles choses aient pu se produire sans que davantage de voix — parmi les confrères ou les autres chrétiens — ne s’élèvent pour protester. Car qu’il s’agisse de l’esclavage, ou de la colonisation, ou même des guerres et génocides perpétrés jusqu’il y a peu, on a peine à comprendre quelle a pu en être la justification, sinon un manque évident de reconnaissance de la dignité inaliénable de chaque personne, quelle qu’elle soit.

    Dans sa dernière encyclique, Fratelli tutti (FT) le Pape François revient à de nombreuses reprises sur le seul fondement possible d’une authentique égalité et fraternité dans les relations entre les êtres humains : « la dignité inaliénable de chaque personne humaine indépendamment de son origine, de sa couleur ou de sa religion et la loi suprême de l’amour fraternel» (FT39). Et le Pape d’ajouter non sans regret : « Parfois je m’étonne que, malgré de telles motivations, il ait fallu si longtemps à l’Église pour condamner avec force l’esclavage et les différentes formes de violence » (FT86).

    Bien sûr cela est du passé, mais en fait, je me dis souvent qu’en condamnant aujourd’hui avec indignation ces erreurs du passé, nous ne faisons rien d’autre que nous condamner nous-mêmes. En effet, avons-nous déjà essayé d’imaginer ce que dans un siècle on dira de notre génération, incapable de prendre la mesure des défis qui sont les nôtres aujourd’hui ?

    Ne condamneront-ils pas avec la même indignation notre inca­pacité à prendre les mesures urgentes que réclame le réchauffement climatique, notre indifférence face au drame épouvantable des migrants, le succès de partis d’extrême droite prêchant un repli sur soi égoïste et xénophobe, oublieux des dérives auxquelles ces idéologies ont conduit par le passé, notre inaction devant le fossé grandissant entre une minorité de privilégiés qui peuvent se permettre n’importe quoi et une masse croissante, condamnée à vivre souvent dans des conditions indignes et sans avenir ? « Au­jourd’hui, comme hier à la racine de l’esclavage, il y a une concep­tion de la personne humaine qui admet la possibilité de la traiter comme un objet» (FT24). Et nous n’avons pas l’excuse que nous ne sommes pas informés, que nous ne savons pas : nous assistons confortablement installés devant nos écrans aux multiples drames qui affectent la vie de tant de nos semblables : « on regarde celui qui souffre sans le toucher, on le voit à la télévision en direct» (FT76). Le fossé ne fait que se creuser et la pauvreté augmenter. Ici à Bruxelles, il suffit de voyager en métro pour prendre la mesure de l’évolution : dimanche passé, rien qu’entre les stations Louise et Gare de l’Ouest, trois mendiants se sont succédé dans les voitures. Du jamais vu.

    Que pouvons-nous y faire ? Nous nous sentons tellement im­puissants devant l’ampleur des défis. C’est justement contre cette indifférence coupable qu’il nous faut réagir, car l’histoire nous en demandera des comptes, comme c’est aujourd’hui vis-à-vis du passé. Le texte biblique central de l’encyclique est la parabole du bon Samaritain. Nous avons certainement déjà eu l’occasion d’en faire de beaux commentaires ou des homélies. Mais posons-nous sin­cèrement la question : nous sentons-nous personnellement con­cernés? À qui t’identifies-tu? Cette question est crue, directe et capitale. Parmi ces personnes, à qui ressembles-tu?» (FT64).

    « Sur la route, nous rencontrons inévitablement l’homme blessé. Aujourd’hui, et de plus en plus, il y a des blessés. L’inclusion ou l’exclusion de la personne en détresse au bord de la route définit les projets économiques, sociaux et religieux. Chaque jour nous sommes confrontés au choix d’être de bons samaritains ou des voyageurs indifférents qui passent outre » (FT69). Comme chrétiens et religieux, la seule issue possible est d’apprendre du bon Samaritain. « Les difficultés qui semblent énormes sont une opportunité pour grandir et non une excuse à une tristesse inerte qui favorise la soumission. Mais ne le faisons pas seuls » (FT78). Puissions-nous personnellement, mais surtout en communauté avoir l’audace de prendre des initiatives concrètes.


    « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots »
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    Martin Luther King Jr.